Quarante ans d’erreur stratégique : quand la France a décidé de se priver de ses seniors

11 avril 2025

Il n’est pas nécessaire d’être un économiste chevronné pour constater les dégâts provoqués par quarante années de politiques publiques ayant sciemment organisé la sortie anticipée des seniors du monde du travail. L’idée – aussi séduisante que simpliste – était de libérer des postes pour permettre aux jeunes générations d’entrer plus facilement sur le marché. Résultat […]

Il n’est pas nécessaire d’être un économiste chevronné pour constater les dégâts provoqués par quarante années de politiques publiques ayant sciemment organisé la sortie anticipée des seniors du monde du travail. L’idée – aussi séduisante que simpliste – était de libérer des postes pour permettre aux jeunes générations d’entrer plus facilement sur le marché. Résultat ? Une société fragilisée, un modèle social déséquilibré, et une économie qui s’est peu à peu marginalisée par rapport au reste du monde.


La société française a fini par intégrer cette erreur structurelle dans son logiciel collectif : à partir de 55 ans, voire 50 dans certains secteurs, l’individu serait devenu inutile. La valeur travail se serait arrêtée là. Ce glissement progressif a installé une double illusion : celle, pour les entreprises, qu’un senior coûte plus qu’il ne rapporte, et celle, pour certains actifs, qu’il serait « normal » de s’arrêter de travailler bien avant l’âge légal. Pire encore, cette cessation anticipée de l’activité serait presque devenue un dû.


Ces politiques à effort minimal de réflexion et sans vision à long terme ont eu un coût. Un coût social, avec une précarisation croissante des seniors exclus du marché du travail et rarement réinsérés. Un coût économique, avec une dette publique qui s’est envolée en finançant des dispositifs de préretraite puis de retraite massive sans aucune mesure avec nos capacités financières. Un coût stratégique, surtout, avec un affaiblissement durable de notre base productive et de notre place dans le concert des grandes nations industrielles.


Il faut oser le dire clairement : la désindustrialisation française est aussi le fruit de cette mise à l’écart prématurée des compétences expérimentées. En perdant nos bras et nos cerveaux les plus expérimentés, en renonçant à la transmission de savoir-faire et en préférant les délocaliser, nous avons fragilisé tout notre appareil productif. Et pendant que la France réduisait sa force de travail disponible, l’Allemagne, elle, s’attachait à capitaliser sur toutes les générations, à maintenir les seniors dans l’emploi, à valoriser l’apprentissage intergénérationnel. On connaît la suite : une Allemagne exportatrice, solide, qui anticipe, face à une France n’arrive plus à rebondir.


Nous avons glissé, presque sans bruit, en dehors du groupe des nations qui façonnent le monde. Celles qui construisent l’avenir sont celles qui mobilisent toutes leurs forces vives, sans gaspillage d’intelligence ni de savoir.


Pour sortir de cette impasse, il faut maintenant réinstaller une forme de lucidité et de pédagogie.
Pédagogie à l’attention des entreprises, d’abord : un salarié de 58 ou 62 ans n’est ni un poids ni une anomalie. Il est souvent plus opérationnel, plus fiable, plus rentable qu’un jeune profil en perpétuelle rotation. Il est un pilier potentiel de la stabilité, de la transmission et de la performance. Il ne demande qu’à être reconnu.
Pédagogie ensuite à l’attention des seniors eux-mêmes : il est compréhensible de vouloir profiter de la vie à partir de 60 ans, surtout quand on est en bonne santé. Mais ces « années en forme », que nos parents ou grands-parents n’ont pas connues, ne peuvent pas devenir des années d’inactivité financées par la collectivité. Ce n’est plus viable. C’est une exigence collective et une opportunité personnelle de continuer à contribuer activement.


Enfin, pour soutenir tout cela il faut libérer le travail et l’envie d’entreprendre. La dynamique de l’emploi passe par une modernisation de notre rapport aux formes d’activité. Cela implique de cesser de sacraliser le CDI comme seule forme légitime d’insertion. Le portage salarial, les missions de transition, le temps partagé, le statut d’indépendant doivent devenir des voies nobles et encouragées. Cela suppose aussi de libérer l’acte d’entreprendre, en réduisant les risques qui pèsent sur celles et ceux qui veulent créer, rebondir ou se réinventer. Trop de réglementation et une fiscalité confiscatoire tuent l’initiative, découragent les élans, étouffent les potentiels.


Nous avons besoin d’une société qui fait confiance, qui valorise, qui libère.
Oui, les discours commencent à changer. Oui, la question des seniors est maintenant sur la table. Mais au-delà des mots, il est temps de passer aux actes. Pour renouer avec la croissance, la cohésion sociale, la fierté d’un modèle productif qui ne laisse personne de côté. La France ne peut plus se priver de ses forces les plus expérimentées. C’est une erreur que nous avons déjà trop longtemps payée.

Hubert de Launay
Président d’XpertZon

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